mardi 25 février 2014

Le grand eucalyptus médicinal


L’eucalyptus médicinal ou Gommier bleu




C’est un arbre que l’on ne remarque pas tout de suite lorsqu’on est enfant tant il est grand. On peut passer près de lui sans le voir, il ne fait pas d’ombre au jardin  et sa ramure   fantasque  si haut perchée se signale seulement les jours de grand vent.

Le jardin de mon enfance en  abritait un dont les troncs jumeaux s’éloignaient l’un de l’autre  à mesure qu’ils s’élevaient vers le ciel. Il n’attira pas mon attention tout de suite, mes observations et mes joies enfantines restant au ras des petites fleurs bordant les  allées.

 

Mon père nous le  présenta avec respect : “c’est un médicinal !”
Il avait dû apprendre la particularité de notre eucalyptus auprès du voisin , pharmacien à la ville. Il nous expliqua que ce arbre venue d’Australie soignait les fièvres, chassait les moustiques, et sauvait des familles entières de la bronchite catarrheuse.

C’est avec respect et admiration que je rendis visite quotidiennement à l’arbre médecin.
Après quelques semaines de rencontres régulières, il me parût assez familier  et je pris un plaisir particulier à l’enserrer de mes deux bras en renversant la tête vers son sommet. Cela me procurait une sorte de vertige assez agréable.

Plus familièrement,  je caressais les troncs puissants  dont l’écorce fine pelait en fin lambeau. J’aimais les arracher doucement,  pour laisser apparaître la peau neuve et blanche encore un peu humide. En se détachant, l’écorce faisait le même bruit que le sparadrap collant qui ornait en permanence mes genoux, lorsque je le tirais précautionneusement. (FAIRE LE PARRLLÈLE AVEC MES CROUTES DE GENOUX)   

Plus tard, enhardie par sa fréquentation quotidienne, je décollais un peu l’écorce avec mon canif, pour ensuite la tirer d’un coup sec en la soulevant jusqu’à hauteur de ma tête, détachant sauvagement sa vieille peau rugueuse. Je me fabriquais alors des bracelets sauvages, d’un bout d’écorce roulée, fermée d’une brindille piquée dessus  - dessous.

Avec ses fruits, en forme de petite toupie, d’un vert pruiné, comme saupoudré de farine, je confectionnais des colliers barbares en les nouant l’un après l’autre sur un cordonnet. La parure, odorante et  poisseuse faisait son petit effet  sur mes cousins facilement admiratifs.
Autour du tronc de l’eucalyptus, rien ne poussait, même les puissantes acanthes se tenaient à distance respectable et je pouvais, à loisir, inventer des danses tribales autour de son tronc bifide.
Le grand sorcier couvrait le sol alentours des feuilles ôtées à sa coiffe de verdure,   empoisonnant le sol de leur essence balsamique. Aucune petite fleur, aucune herbe ne s’avanturait à  germer à ses pieds.  Royal et solitaire, il marquait ainsi  son territoire, décourageant d’avance toute promiscuité.
Une nuit d’hiver, un mistral terrible souffla toute la nuit.  Une sorte de miaulement gigantesque suivit de frottements sourds et angoissants réveilla toute la maison. Quelle bête malade, quel oiseau étrange , quel chat amoureux, pouvait gémir avec autant de désespoir et de constance ?
A vrai dire, nous n’étions pas très fiers et mon père vérifia plusieurs fois la fermeture des portes de la maison.


Au matin, le mistral n’avait rien perdu de sa vigueur. Le ciel  balayé dans tous les coins, débarbouillé de toute trace  de nuage, était éblouissant de lumière. Dans sa folie ménagère, le vent du nord secouait avec force  l’eucalyptus. Les branches emmêlées par son ardeur, se débarrassaient à chaque bourrasque, dans une friction  sauvage, de leur lambeaux de vieille écorce, de leurs fruits secs, de leurs jeunes branches trop fragiles.
Manoeuvrées sans ménagement, elles s’entremelaient , puis se séparaient     dans un long gémissement presque douloureux.
C’était la plainte continue de l’arbre , tordu par le mistral qui avait troublé notre sommeil.
Au pied de l’arbre, un incroyable fouillis s’accumulait. Quelques branches mortes, quantité de brindilles, et surtout ce qui me fascinait , les lambeaux d’écorce roulés sur eux mêmes, desquamations odorantes , dépouille encore  tiède du combattant de la nuit.
Les fruits,  grosses capsules à quatre côtes, finissaient dans la vieille casserole à infusions qui mijotait sur le coin de la cuisinière.
Les feuilles en forme de faux,  avaient elles aussi un usage thérapeutique : déposées sur  le dessus du fourneau, elles se tortillaient, exsudant leur précieuse huile odoriférante qui nous protégerait de tous les maux pendant la mauvaise saison.

Malgré toutes ces précautions,  il pouvait arriver que l’un de nous  s’enrhume. Avant d’appeler le médecin, on ne le dérange pas pour rien, nous avions droit à l’inahalation de feuilles d’eucalyptus.
Une grosse poignée de feuilles fraîches brisées était mise à infuser dans un grand bol. La tête recouverte d’une épaisse serviette éponge, il fallait respirer avec application les exsudations grasses et un peu écoeurantes du bel eucalyptus. 
Lorsque malgré les soins, le rhume tournait à la bronchite, nous avions droit aux préparations pharmaceutiques du voisin. Il élaborait dans son officine, un sirop à base de thérébentine, d’eucalyptol et de bien d’autres essences inconnues. Une bouteille de verre blanc au bouchon vissé  contenait le précieux sirop ambré. Une étiquette d’écolier portait à l’encre violette le nom du malade et le n° de référence de la composition magistrale.
A vrai dire, ce breuvage était réservé aux adultes, mais dans les cas sérieux, il nous était permis d’en siroter quelques cuillers. Souvenir brûlant et parfumé à la limite de l’écoeurement. J’avais l’impression d’avaler la sève de l’arbre tout entier. Nous préférions tout de même cette médication exceptionnelle à l’humiliant   traitement  par suppositoires à l’eucalyptol.


Un hiver, le gros vent d’est souffla  avec violence. Au matin les bourrasques avaient fait silence et cédé la place à la pluie. Le jardin silencieux se remettait de sa folle nuit. En sortant de la maison, nous vîmes l’étendue du désastre. Un des troncs jumeaux de l’eucalyptus, le plus étoffé à sa cime, touchait  terre. Tordu, déchiqueté  à mi-hauteur, il dénudait une chair aux fibres longues et tendres. Il n’avait pas cassé, mais après une nuit de lutte, lui qui tenait tête au Mistral, avait cédé aux coups de butoir de la tempête d’Est. Encore retenu par sa chair effilochée, il pendait lamentablement jusqu’au sol.
Mon père entrepris la coupe du tronc , à deux mètres du sol, bien au dessous de la blessure fatale. Le bois  se laissa tronçonner facilement bien que sa sciure encrassa vite les dents de la scie. Le tronc dépecé, les morceaux furent brûlés  le soir même dans la cheminée. La sève bouillonnait et moussait    aux extrémités de la bûche en gémissant, comme un reproche à notre empressement.

Mon arbre avait une drôle d’allure après cette amputation. Au  printemps suivant, de drôles de bourgeonnement cernèrent le moignon. Des feuilles rondes et grises se développèrent comme pour camoufler la plaie. En une saison, les tendres pousses étaient devenues de solides  branches de plus de 3 m !
Ses feuilles  rondes et argentées faisaient place au cours de la croissance    à d’autres,  lancéolées, étroites et aiguës, courbées à la façon du fer d’une faux. La couleur métallique  de ce feuillage toujours agité se découpait violemment sur le bleu naïf du ciel.
En plein été, lorsque le soleil cuisait tout le jardin, il  n’offrait même pas d’ombre à ses voisins. Les feuilles pendantes,  luisantes d’huile intimement suintée, se tournaient suivant la course du soleil , n’offrant que leur mince profil afin de limiter leur déshydratation.

J’avais observé sa continuelle floraison au sommet : bouquets de curieuses fleurs blanchâtre dont l’éclosion commençait dès décembre. Le bouton floral, en forme de petite toupie , d’un vert pruiné comme saupoudré de farine. Le calice,  s’ouvrant comme une  petite boite,  projetait son opercule, libérait alors un gros bouquet d’étamines soyeuses. Le sol était parsemé  de petits couvercles pointus recouverts d’une pruine grise odorante. Les abeilles, en mal de butin en cette saison, s’acharnaient à piller en un ronronnement continu  ces fleurs exotiques. Au sol, un tapis d’étamines brisées témoignait de leur ardeur au travail.

J’aimais déjà cet arbre et j’appris à le connaître.
L’eucalyptus est une introduction  de fraîche date. Il était arrivé sur la Côte d’Azur seulement un petit siècle avant moi et pourtant on le trouvait déjà dans tous les jardins   où ses vigoureuses racines pompaient avec avidité  les eaux usées  s’écoulant dans les puits perdus.
Avec une belle santé, il  cabossait bien vite les allées de ses racines cagneuses et soulevait avec sans gêne les l’enpierrement des terrasses à la recherche d’un peu d’humidité. On lui pardonnait ses excès car il était considéré comme un arbre “antiseptique”. La grande transpiration de son feuillage immense soumis à une lumière intense était reconnu pour assainir l’air et chasser les moustiques inoculateurs des fièvres paludééennes.
Le goût de l’exotisme aidant, on leur trouva bien vite un intérêt commercial. Les branches ornées de boutons floraux  furent collectées pour le commerce de la fleur coupée. Expédiées dans toute l’Europe, elles avaient un certain succès. De nos jours, on commercialise encore des bottes de tiges défeuillées dont les boutons immatures et pruinés de gris,   sont utilisés dans les bouquets de fin d’année.  Plantations pour feuillage jusqu’en Italie.