Le mimosa et le freesia
Sur le côté de la maison, entre le bosquet des orangers et la rue, il y avait un petit bois, ombragé par de grands arbres maigrichons dont les branches aux feuilles grises et découpées frôlaient mon visage.
Mon père m’avait dit : “ce sont des mimosas .”
En plein été, ils avaient piètre mine, les feuilles repliées sur elles-mêmes et les branches pendantes. Ils semblaient en grande souffrance, comme épuisés. Les extrémités, pourtant, étaient pleines de drôles de petits grains verdâtres, à peine gros comme des têtes d’épingles.
Vinrent les orages de la fin de l’été, pluie lourde qui ruisselle sans pénétrer le sol trop dur. Les mimosas sortirent brusquement de leur sommeil estival. Leurs feuilles composées largement dépliées, avaient changé de couleur, passant du gris éteint à une superbe glaucescence.
Les petits grains s’étaient gonflés au fil des mois. En janvier ils étaient bien ronds et d’un vert hésitant.
Vers la fin du mois, la floraison éclata comme un soleil en mille houppettes soyeuses, poudrées et gonflées d’un pollen léger. Le petit bois était recouvert d’une chevelure dorée, mousseuse et embaumée.
J’ai tout de suite aimé le mimosa. C’est un arbre généreux qui ruisselle de fleurs et que l’on peut piller sans réserve.
J’avais remarqué que la terre change d’odeur sous les mimosas. Quelque soit l’endroit où ils poussent, la terre a une senteur particulière. J’en ai eu l’explication bien plus tard, cette odeur fraîche et curieuse viendrait des nodules particuliers que cette famille de plante développe sur ses racines. Ces nodules fixent l’azote du sol et l’enrichissent pour mieux s’en nourrir.
Mon père qui avait travaillé chez un fleuriste dans sa jeunesse connaissait tout le plaisir que cette fleur hivernale procure aux gens des grandes villes.
Il expédiait à toute notre famille parisienne des gros colis de branches fleuries de mimosas. Il les roulait bien serrées dans un papier journal un peu humide, puis les ficelait en un gros saucisson de papier kraft.
En expédiant chaque année ses colis à Paris, mon père offrait avec fierté un peu de sa Côte d’Azur.
A la fin du mois de Janvier, le Comité des Fêtes de SAINT-RAPHAËL organisait la Fête du Mimosa. La promenade du bord de mer était barricadée, nous devions payer une entrée pour assister au défilé des chars décorés exclusivement de mimosa. Plus tard, mon père obtint de tenir une des guitounes d’entrée et en plus du petit extra qu’il gagnait, nous pouvions assister gratis à la fête.
J’ai le souvenir des chars les plus exotiques réalisés par l’armée coloniale cantonnée alors dans la commune voisine de Fréjus :
Sur des camions militaires, entièrement recouverts de grillage à poules, on avait tissé des branches fleuries. Des africains, presque nus, ceinturés d’un pagne dansaient des danses barbares pour la plus grande joie du public.
Suivaient des tracteurs fleuris tirant des plate formes sur lesquelles de gracieuses fillettes en tenue légère prenaient des poses.
Les réalisations étaient naïves et le public heureux. On se jetait au visage des confettis et des rameaux fleuris.
J’avais en horreur la bousculade de cette fête et dès qu’on me le permis, je boudais cette manifestation populaire. Déjà je n’aimais pas que l’on piétinne les fleurs.
Ce fût un grand chagrin pour mon père qui avait intrigué pendant deux ans afin de m’obtenir une place sur un char. Il aurait été si fier de me voir défiler !
Au bout de quelques années d’émerveillement, la mimosée gagnant du terrain, mon père entrepris l’arrachage des arbres en surnombre. Il attendit les pluies d’automne pour les attaquer. Les enfants étaient de corvée pour traîner les branches coupées vers le feu. Le mimosa, même vert, brûle en crépitant joyeusement. Il accepte le sacrifice dans la joie car il sait que la moindre racine laissée en terre donnera naissance à un nouveau rejeton prêt à fleurir l’année suivante. Quelques unes de ses graines, grillées par le feu, germeront autour du tas de cendres refroidies. Le mimosa sauvage est immortel. Il renaît après le feu comme après le gel.
Ses racines superficielles, à la moindre blessure, font naître une pousse nouvelle qui donnera un arbre en deux ou trois ans.
Le mimosa, Acacia dealbata, fut importé d’Australie au début du XIXe siècle.Il trouva très vite sa terre d'élection sur la Côte d'Azur et dès le début de ce siècle, les producteurs de mimosa s’employèrent à le “forcer”pour une floraison dès la fin du mois de Novembre. La fleur devait être encore verte, mais avec quelques points jaunes. Dans l’incertitude, pour juger de l’état d’avancement des boutons, il suffisait de les rouler entre les paumes de la main. S’ils résistaient, c’était trop tôt, au contraire, s’ils se réduisaient en une poudre jaunâtre, ils pouvaient être soumis au forçage.
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Sous la mimosée, poussait une sorte d’herbe vert tendre. Elle était apparût vers le mois de décembre alors que les mauvaises herbes n’étaient pas encore sorties. En février, le tapis serré avait bien 30 cm de haut. Couchée à plat ventre dedans, je pouvais observer à contre jour une tige encore enclose dans les feuilles. Au toucher, je sentais cette excroissance prête à émerger. Cela ne tarda pas : dès la fin du mois de février, alors que le mimosa était en pleine explosion, les premières tiges dépassèrent leurs feuilles en fer de lance. Délicate mais solide à la fois, la hampe florale, brusquement arquée au sommet pour déplier 6 à 10 fleurs à corolle tubuleuse d’un blanc incertain. Je garde le souvenir de l’émotion que me procura le parfum de cette modeste fleur de freesia. Odeur douce et sucrée, relevée d’une fragrance inconnue. Au plus fort de la floraison, les freesias, serrés les uns contre les autres exhalaient une senteur lourde et exotique, parfait contrepoint à l’innocence poudrée du mimosa.
Je les cueillais en petits bouquets serrés pour apporter à l’école en hommage à ma maîtresse.
J’ai retrouvé plus tard ce petit freesia dans tous les jardins anciens et même dans la nature, car il se reproduit volontiers par graines.
j’ai découvert qu’il était originaire du Cap, et qu’il était proposé en 1883 sur le catalogue anglais de la maison James Carter & Cie. Cette charmante bulbeuse à la floribondité extraordinaire et au parfum délicat fit la conquête des cultivateurs de fleurs d’exportation sur le littoral. Elle fut cultivée dès le début du siècle et introduite dans les beaux jardins de la Côte d’Azur.
Le Freesia refracta, aussi appelé odorata à cette époque est devenu l’hôte privilégié des mimosées .
On le rencontre même sur le sentier littoral, ancré dans le plus petit creux de rocher, échappé des grands jardins aux ballustres blanches qui le bordent depuis plus d’un siècle.
Partout où les jardins sont morcelés, remaniés, il profite du boulversement de la terre pour se réfugier contre les clôtures, sous les arbres. Les oiseaux en sèment au faîte des palmiers, entre les tronçons de feuilles. Il borde encore certains terrains agricoles du bord de mer , là ou il était cultivé au début du siècle pour la fleur à bouquet. Le freesia monte à graine facilement.
Chaque tige soutient péniblement quatre à cinq boulettes pleines de petites graines. Au fur et à mesure qu’elles grossissent, les feuilles s’étiolent, sèchent et disparaissent complètement. La tige se couche à son tour, les sacs à graines s’entrouvrent et la semence roule à terre où elle grillera tout l’été. Les pluies de septembre les entraînent et elles terminent leur course dans un tas de terre et de déblais emportés par les ruissellements de la pluie.
La majorité d’entre elles germeront . La première année, les jeunes feuilles forment un fin gazon qui ne dépasse pas quelques centimètres. Toute l’énergie est consacrée à la formation du petit bulbe dont les réserves accumulées dedans vont lui permettre de passer la saison sèche. Les feuilles disparaissent l’été arrivé, mais dès l’automne, elles poussent plus vigoureusement et accumulent assez de force pour leur première floraison fin février.
Il aime une terre sableuse, souple et pauvre. Les engrais, les amendements organiques signent sa disparition à court terme.
Depuis un an ou deux, on le retrouve sur quelques rares catalogues branchés.
Attention, les sangliers adorent ces bulbes dont ils se régalent volontiers !
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