samedi 29 novembre 2008

MON JARDIN D'ENFANCE




L’agave  américaine en fleur 


Il y avait dans le jardin sauvage, d’énormes agaves d’Amérique, des grises et des panachées de jaune. A cette époque, l’aloès comme on disait alors, peuplait les talus de chemin de fer. Ses formes généreuses et charnues , largement ouverte et étalées au soleil en faisait un ornement exotique très employé surtout par les nouveaux résidents. La mode était aux poteries garnies d’aloès, scellées sur les piliers du portail ou sur les murs de clôture . En fait ce que l’on appelait aloès était une agave dont la nature vigoureuse éclatait très vite les poteries. La racine charnue et blanche, au contact de la lumière donnait une ou plusieurs petites agaves qui en grandissant finissaient d’exploser leur contenant. 

Les plus prévoyants leur offrait ces pots de terre cuite  aménagés de trous comme les pots à fraisiers. C’était reculer l’inévitable. Après avoir logé ses petits dans les nids prévus à cette usage, les racines épaisses et serpentines après avoir  dévoré toute la terre nourricière, cherchaient vainement   une issue et poussaient tellement les flancs rebondis de la poterie qu’ils la brisaient sans merci. 

Leur floraison était une curiosité toujours renouvelée. Cette amarylidacée venue des Amériques décidait d’en finir en lançant vers le ciel une asperge  à la mesure de son désespoir. Cette tige, grosse comme une cuisse, atteignait trois mètres en quelques semaines et développait tout le long de son tronc des bouquets étagés, frangés de fleurs verdâtres. En même temps, l’agave épuisée par cette ultime érection, se flétrissait, jaunissait, perdait toute sa succulence pour ressembler à un vieux cuir racorni dont seules les épines restaient agressives. Il lui fallait bien 6 mois pour en finir, la déchéance était complète quand la tige floral penchait dangereusement puis touchait terre entraînant avec elle les restes de la bête.


Mon père s’attaquait alors au dépeçage,  croyant alors libérer le terrain de cette charogne piquante. A l’automne, on brûlait les restes non sans avoir préalablement tronçonné la tige florale pour un usage bien particulier. Ces morceaux étaient collectés pour l’usage qu’en faisaient les coiffeurs : ils y aiguisaient leur coupe-choux !


L’espace nettoyé , ne restait pas longtemps libre. Les racines souterraines, épaisses avaient donné naissance à une dizaine au moins de petites agaves qui pointaient leurs jeunes feuilles avec courage. et qui mettraient 20 à 25 ans pour fleurir à leur tour.  

J’aimais pardessus tout détacher les feuilles encore imbriquées les unes dans les autres, bravant ainsi les crochets redoutables. La feuille délivrée avant l’heure restait timidement enroulée sur elle même et laissait son empreinte vert tendre sur la feuille inférieure. décalque démarque plus clair sur le gris métallique.

Ce jeux était amusant sur les petites agaves, mais dangereux sur les grosses car cela demandait  un effort important pour arriver au décollage des feuilles.


L’agave d’Amérique poussait sur les talus et se plaisait particulièrement au bord de mer  accrochée en surplomb aux rochers des calanques. Élément incontournable de la carte postale, elle apportait sa note d’exotisme au paysage de la Cote d’Azur.

Les vacanciers avaient compris l’importance de son message et ne résistaient pas à l’envie de couvrir ses larges feuilles de messages sibyllins gravés à l’opinel dans sa chair juteuse : “ à Brigitte, Claudine ou Josette pour la vie” La dédicace était bien sûr agrémenté d’un coeur traversé d’une flèche. Les plus sauvages  tranchaient dans le vif, juste pour voir  de quelle chair elle était faite, comment c’était dedans, les plus timides inscrivaient la date de leur passage  : Août 1952.

L’agave, cicatrisait vite, et les écrits blanchissaient assurant ainsi aux vacanciers la pérennité de leurs amours, d’une année sur l’autre. 

Sur le sable, à la limite des jardins,  les grosses agaves étaient entourées de nombreux petits, encore dépendant de leurs racines nourricières. Les touristes curieux pouvaient  prélever les jeunes pour les ramener chez eux en témoignage de leurs fabuleuses vacances au soleil. 

Elles ne survivaient pas longtemps à des climats différents.  On leur offrait un pot  garni de riche terreau  et l’ arrosage régulier qui les ramollissait d’abord pour les pourrir ensuite irrémédiablement.  L’agave vit d’abord de lumière et de soleil. Une ou deux pluies par année suffisent à ses tissus pour stoker l’eau nécessaire à sa vie.  


Elle supporte très bien les petits coups de froids que nous réserve les mois de janvier et de février . Une année pourtant, c’était en février 1956, la neige tomba d’abondance.  J’ai encore en mémoire le souvenir de ce matin  : l’escalier de marbre disparaissait sous 40 cm de neige, les mimosas en fleurs pendaient jusqu’au sol sous son poids . Les chemins avaient disparu, les  eucalyptus étaient figés, le jardin n’avait plus que des formes incertaines.

Les agaves  dont les feuilles largement tartinées de neige ressemblaient à d’énormes pâtisseries  dépassaient seules de ce linceul.

La nuit qui suivit, le thermomètre descendit à -10. Ce fut la catastrophe, toute la végétation exotique, gorgée d’humidité ne résista pas. L’eau contenue dans les fibres gela éclatant irrémédiablement tous les tissus.

Le dégel  reste un souvenir épouvantable, les grandes agaves se ramollirent d’un coup. Comme un gros poulpe mort, elles se répandirent au sol. Puis  les feuilles pendantes fondirent en une glu verdâtre  qui se gâta très vite en une pourriture nauséabonde. 

Pendant quelques années on oublia les  encombrantes agaves. C’était faire abstraction de leur formidable puissance. En effet, les racines charnues les plus profondes avaient été épargnées par le gel. Elle se dirigèrent petit à petit vers la surface du sol réchauffé par l’été et donnèrent spontanément naissance à de nombreuses petites agaves. Bien sûr, il fallu attendre une bonne dizaine d’années pour que leurs enfants prennent  de l’ampleur. Le peuplement resta  longtemps modeste. La mode jardin des années 60 avait oublié l’exotisme de l’agave au profit d’une    géométrie rigoureuse,  bordée de sauges rouges et d’agératum du Mexique ou l’opus incertum délimitait des chemins plus importants que les massifs.


L’agave est à nouveau à la mode et c’est bien, nos jardins et nos paysages, après un retour pur et dur aux essences locales  et au caractère provençal, se tourne à nouveau vers la diversité végétale . nous continuons d’introduire des espèces venues d’ailleurs et l’agave orne  les jardins et déborde à nouveau sur les calanques aux rochers rouges. 


PLANTES DE PROVENCE



nom latin : Viola odorata    

Famille :VIOLACÉES


La violette odorante aussi nommée violette des quatre saisons ou violette de tous les mois, parce qu’elle donne ses fleurs durant presque toute l’année, ne fut d’abord qu’une simple plante des champs, vivant à l’ombre des buissons et recherchée pour sa bonne odeur. Transportée dans nos jardins, les amateurs la recueillirent, la cultivèrent et la multiplièrent avec soin.  

C’ est une plante basse vivace, à rejets traçants . Les feuilles  sont en forme de coeur et légèrement gaufrées. Les fleurs portées par de longs pédoncules  sont simples, ou doubles pour celles dites de Parme.  La violette symbolise la pureté,  la discrétion,  le souvenir amoureux....  Vulcain, dieu forgeron, se parfuma à la violette  et réussit à prendre un baiser à Vénus....

En Méditerranée, cette petite fleur est utilisée depuis plus de 2000 ans pour son essence parfumée.   Dans le midi on la cultive encore  pour l’industrie des parfums. Les horticulteurs spécialisés dans cette culture s’appellent violettiers . Ils vendent les violettes en bottes aux fleuristes dès Octobre, puis  à la distillerie de Janvier à Avril. Jadis, les feuilles fauchées en fin de saison servaient  de fourrage. Les vaches donnaient après avoir brouté ce feuillage un lait délicatement parfumé.... 

Dans la Rome ancienne, lors de cérémonies et des fêtes, on   aromatisait le vin à la violette.  Une guirlande de ces fleurs,  posée sur la tête, était sensée rafraîchir et aider à la sobriété... Au XIXe siècle, l’extrait de violette entre dans la préparation des poudres, savons, vinaigres, extraits et cold-cream. On en parfumait aussi le tabac à priser mais pour beaucoup d’entre nous c’est le  doux parfum de la poudre de riz de nos grands-mères.

La confiserie  cristallise la fleur,   emprisonnant son parfum dans un linceul de sucre croquant, spécialité de l’arrière pays niçois. 


AU JARDIN:


La violette appartient  à tous les pays et à toutes les altitudes, dans le midi, c’est une culture hivernale, la plante ayant besoin de la sécheresse estivale pour son repos afin de reprendre sa végétation aux premières pluies d’automne. On la cultive sous le couvert des oliviers ou des orangers. Ailleurs, avant l’apparition des tunnels, on  protégeait les plantations des rayonnements nocturnes et des vents froids par paillassons ou des châssis vitrés.

Il est donc évident que cette fleur historique doit trouver sa place dans le jardin le plus modeste. Native des sous-bois, elle apprécie un sol riche en humus, mais une fois installée, on a la surprise de la voir se répandre, un peu partout et surtout en plein soleil !  

Procurez vous des ‘coulants’  auprès d’un ami jardinier et installez les au frais sous l’ombre tamisée des arbustes. Achetez quelques pieds de variétés originales, roses, bleues, blanches tiquetées de mauve aux noms charmants : ‘gracilis’,  ’Coeur d’Alsace’, ‘De Bruneau’, ‘Blanche de Chevreuse’,  ‘Perle rose’, Czar blanc’,  Victoria, ‘ Princesse Béatrice’,   ‘Baronne Alice de Rotchild’.......

Vous ne regretterez jamais ce modeste investissement.  Certaines fleurissent   dès Octobre, et jusqu’à la fin Avril leur parfum insinuant  guidera votre tour du jardin .

Chez moi je n’ai jamais réussi à les faire pousser en bordure, elles s’échappent dans les endroits les plus inattendus. C’est ainsi que je les aime, fantasques , se mariant les unes aux autres, renaissant de tous les tons, du violet d’encre au rose vineux, du blanc au Parme tendre, me surprenant par leur installation inattendue sous une acanthe, au pied d’un épineux rosier, ou bien au beau milieu d’une potée de géranium ! 

Conseil : si vos violettes après la canicule estivale sont tristes et desséchées, pas de panique, faites leur une coupe très, très courte, aux ciseaux et couvrez les d’une pelletée de compost maison. Elles seront en pleine forme dès le mois d’octobre et arboreront un feuillage neuf et sain autour des premières fleurs.


SECRETS DE  JARDINIÈRE : 

La violette fait partie des plantes médicinales anciennes, très employée au moyen âge dans les remèdes adoucissants. Les fleurs sont calmantes, béchiques, rafraîchissantes, légèrement laxatives et émollientes.

‘Au printemps, manger la première violette rencontrée protège des fièvres...’

La violette entre dans la composition de la tisane des quatre fleurs pectorales 

( qui en comprend 6 !) bouillon blanc, coquelicot, guimauve, tussilage, pied de chat et violette)  prescrite pour soigner les rhumes, les bronchites et les fièvres. Les apothicaires confectionnaient aussi du sucre violat, du sirop de violettes, de l’huile violat.  

Je prépare le sirop de violettes lorsque leur floraison est particulièrement généreuse. 

Santé : l’ élixir violet  

Il faut cueillir 100 g  de fleurs et de belles feuilles (pas plus de 10% de feuilles). Je les ébouillante avec un litre d'eau et je les laisse infuser 24 heures. Après avoir les avoir triturées et pressées , je filtre le jus violacé. J’ajoute 1,5 kg de sucre et je laisse mijoter doucement au bain-marie en remuant constamment. J'arrête la cuisson lorsque la consistance est devenue bien sirupeuse ; mon élixir violet  est ensuite mis en flacons .

Ses usages sont divers  :  

Je l’utilise pour colorer le gâteau de semoule ou de riz,  

Une giclée donne aux glaces un aspect étrange et derrangeant

Un cuiller de cet élixir adoucit la voix  en cas d’irritation de la gorge


Un peu de magie : 

Avec les enfants, je  propose l’expérience suivante :

Ils écrasent dans un mortier des fleurs  jusqu’à l’obtention d’une pommade violette.  En versant quelques gouttes de vinaigre sur le mélange il devient d’un très beau rouge. Ce mystère mis sur le compte de mes dons de sorcière est en fait la réaction du colorant bleu, la cyanine qui rougit sous l’effet de l’acide. La surprise est assurée !


Le poète a dit :

“Je suis en ce moment étendu sur un gazon parsemé de violettes, sous un grand chêne qui m’abrite du soleil ; je n’imagine rien qui puisse me décider à quitter cette position.  Je suis sur le dos, enfoncé dans l’herbe plus d’à moitié ; mes deux bras croisés derrière ma tête la tiennent un peu élevée...”

Alphonse Karr, Lettres écrites de mon jardin  - 1853



vendredi 28 novembre 2008

MON JARDIN D'ENFANCE


L’eucalyptus médicinal ou Gommier bleu



C’est un arbre que l’on ne remarque pas tout de suite lorsqu’on est enfant tant il est grand. On peut passer près de lui sans le voir, il ne fait pas d’ombre au jardin  et sa ramure  fantasque  si haut perchée se signale seulement les jours de grand vent.


Le jardin de mon enfance en  abritait un dont les troncs jumeaux s’éloignaient l’un de l’autre  à mesure qu’ils s’élevaient vers le ciel. Il n’attira pas mon attention tout de suite, mes observations et mes joies enfantines restant au ras des petites fleurs bordant les  allées.


Mon père nous le  présenta avec respect : “c’est un médicinal !”

Il avait dû apprendre la particularité de notre eucalyptus auprès du voisin , pharmacien à la ville. Il nous expliqua que ce arbre venue d’Australie soignait les fièvres, chassait les moustiques, et sauvait des familles entières de la bronchite catarrheuse.


C’est avec respect et admiration que je rendis visite quotidiennement à l’arbre médecin. 

Après quelques semaines de rencontres régulières, il me parût assez familier  et je pris un plaisir particulier à l’enserrer de mes deux bras en renversant la tête vers son sommet. Cela me procurait une sorte de vertige assez agréable.

 

Plus familièrement,  je caressais les troncs puissants  dont l’écorce fine pelait en fin lambeau. J’aimais les arracher doucement,  pour laisser apparaître la peau . En se détachant, l’écorce découvrait une peau lisse et neuve, un peu rosée , tout comme celle que libérait le sparadra de mes genoux perpétuellement couronnés.


Plus tard, enhardie par sa fréquentation quotidienne, je décollais un peu l’écorce avec mon canif, pour ensuite la tirer d’un coup sec en la soulevant jusqu’à hauteur de ma tête, détachant sauvagement sa vieille peau rugueuse. Je me fabriquais alors des bracelets sauvages, d’un bout d’écorce roulée,  fermée d’une brindille piquée dessus  - dessous. 


Avec ses fruits, en forme de petite toupie, d’un vert pruiné, comme saupoudré de farine, je confectionnais des colliers barbares en les nouant l’un après l’autre sur un cordonnet. La parure, odorante et  poisseuse faisait son petit effet  sur mes cousins facilement admiratifs.

Autour du tronc de l’eucalyptus, rien ne poussait, même les puissantes acanthes se tenaient à distance respectable et je pouvais, à loisir, inventer des danses tribales autour de son tronc bifide.

Le grand sorcier couvrait le sol alentours des feuilles ôtées à sa coiffe de verdure,   empoisonnant le sol de leur essence balsamique. Aucune petite fleur, aucune herbe ne s’aventurait à  germer à ses pieds.  Royal et solitaire, il marquait ainsi  son territoire, décourageant d’avance toute promiscuité. 

Une nuit d’hiver, un mistral terrible souffla toute la nuit.  Une sorte de miaulement gigantesque suivit de frottements sourds et angoissants réveilla toute la maison. Quelle bête malade, quel oiseau étrange , quel chat amoureux, pouvait gémir avec autant de désespoir et de constance ?

A vrai dire, nous n’étions pas très fiers et mon père vérifia plusieurs fois la fermeture des portes de la maison. 


Au matin, le mistral n’avait rien perdu de sa vigueur. Le ciel  balayé dans tous les coins, débarbouillé de toute trace  de nuage, était éblouissant de lumière. Dans sa folie ménagère, le vent du nord secouait avec force  l’eucalyptus. Les branches emmêlées par son ardeur, se débarrassaient à chaque bourrasque, dans une friction  sauvage, de leur lambeaux de vieille écorce, de leurs fruits secs, de leurs jeunes branches trop fragiles.

Manoeuvrées sans ménagement, elles s’entremelaient , puis se séparaient     dans un long gémissement presque douloureux.

C’était la plainte continue de l’arbre , tordu par le mistral qui avait troublé notre sommeil.

Au pied de l’arbre, un incroyable fouillis s’accumulait. Quelques branches mortes, quantité de brindilles, et surtout ce qui me fascinait , les lambeaux d’écorce roulés sur eux mêmes, desquamations odorantes , dépouille encore  tiède du combattant de la nuit.

Les fruits,  grosses capsules à quatre côtes, finissaient dans la vieille casserole à infusions qui mijotait sur le coin de la cuisinière. 

Les feuilles en forme de faux,  avaient elles aussi un usage thérapeutique : déposées sur  le dessus du fourneau, elles se tortillaient, exsudant leur précieuse huile odoriférante qui nous protégerait de tous les maux pendant la mauvaise saison.


Malgré toutes ces précautions,  il pouvait arriver que l’un de nous  s’enrhume. Avant d’appeler le médecin, on ne le dérange pas pour rien, nous avions droit à l’inahalation de feuilles d’eucalyptus. 

Une grosse poignée de feuilles fraîches brisées était mise à infuser dans un grand bol. La tête recouverte d’une épaisse serviette éponge, il fallait respirer avec application les vapeurs grasses et un peu écoeurantes du bel eucalyptus.  

Lorsque malgré les soins, le rhume tournait à la bronchite, nous avions droit aux préparations pharmaceutiques du voisin. Il élaborait dans son officine, un sirop à base de thérébentine, d’eucalyptol et de bien d’autres essences inconnues. Une bouteille de verre blanc au bouchon vissé  contenait le précieux sirop ambré. Une étiquette d’écolier portait à l’encre violette le nom du malade et le n° de référence de la composition magistrale.

A vrai dire, ce breuvage était réservé aux adultes, mais dans les cas sérieux, il nous était permis d’en siroter quelques cuillers. Souvenir brûlant et parfumé à la limite de l’écoeurement. J’avais l’impression d’avaler la sève de l’arbre tout entier. Nous préférions tout de même cette médication exceptionnelle à l’humiliant   traitement  par suppositoires à l’eucalyptol.



Un hiver, le gros vent d’est souffla  avec violence. Au matin les bourrasques avaient fait silence et cédé la place à la pluie. Le jardin silencieux se remettait de sa folle nuit. En sortant de la maison, nous vîmes l’étendue du désastre. Un des troncs jumeaux de l’eucalyptus, le plus étoffé à sa cime, touchait  terre. Tordu, déchiqueté  à mi-hauteur, il dénudait une chair aux fibres longues et tendres. Il n’avait pas cassé, mais après une nuit de lutte, lui qui tenait tête au Mistral, avait cédé aux coups de butoir de la tempête d’Est. Encore retenu par sa chair effilochée, il pendait lamentablement jusqu’au sol. 

Mon père entrepris la coupe du tronc , à deux mètres du sol, bien au dessous de la blessure fatale. Le bois  se laissa tronçonner facilement bien que sa sciure encrassa vite les dents de la scie. Le tronc dépecé, les morceaux furent brûlés  le soir même dans la cheminée. La sève bouillonnait et moussait    aux extrémités de la bûche en gémissant, comme un reproche à notre empressement.


Mon arbre avait une drôle d’allure après cette amputation. Au  printemps suivant, de drôles de bourgeonnement cernèrent le moignon. Des feuilles rondes et grises se développèrent comme pour camoufler la plaie. En une saison, les tendres pousses étaient devenues de solides  branches de plus de 3 m ! 

Ses feuilles  rondes et argentées faisaient place au cours de la croissance    à d’autres,  lancéolées, étroites et aiguës, courbées à la façon du fer d’une faux. La couleur métallique  de ce feuillage toujours agité se découpait violemment sur le bleu naïf du ciel. 

En plein été, lorsque le soleil cuisait tout le jardin, il  n’offrait même pas d’ombre à ses voisins. Les feuilles pendantes,  luisantes d’huile intimement suintée, se tournaient suivant la course du soleil , n’offrant que leur mince profil afin de limiter leur déshydratation.


J’avais observé sa continuelle floraison au sommet : bouquets de curieuses fleurs blanchâtre dont l’éclosion commençait dès décembre. Le bouton floral, en forme de petite toupie, en  s’ouvrant  projetait son opercule et  libérait alors un gros bouquet d’étamines soyeuses. Le sol était parsemé  de petits couvercles pointus recouverts d’une pruine grise odorante. Les abeilles, en mal de butin en cette saison, s’acharnaient à piller en un bourdonement continu  ces fleurs exotiques. Au sol, un tapis d’étamines brisées témoignait de leur ardeur au travail.


J’aimais déjà cet arbre et j’appris à le connaître. 

L’eucalyptus est une introduction  de fraîche date. Il était arrivé sur la Côte d’Azur seulement un petit siècle avant moi et pourtant on le trouvait déjà dans tous les jardins   où ses vigoureuses racines pompaient avec avidité  les eaux usées  s’écoulant dans les puits perdus. 

Avec une belle santé, il  cabossait bien vite les allées de ses racines cagneuses et soulevait avec sans gêne les l’enpierrement des terrasses à la recherche d’un peu d’humidité. On lui pardonnait ses excès car il était considéré comme un arbre “antiseptique”. La grande transpiration de son feuillage immense soumis à une lumière intense était reconnu pour assainir l’air et chasser les moustiques inoculateurs des fièvres paludééennes.

Le goût de l’exotisme aidant, on leur trouva bien vite un intérêt commercial. Les branches ornées de boutons floraux  furent collectées pour le commerce de la fleur coupée. Expédiées dans toute l’Europe, elles avaient un certain succès. De nos jours, on commercialise encore des bottes de tiges défeuillées dont les boutons immatures et pruinés de gris,   sont utilisés dans les bouquets de fin d’année. Son feuillage juvénile  est récolté pour le commerce de la fleur coupée.


 


mardi 25 novembre 2008

IDÉES JARDIN



































C'est le moment de bouturer les rosiers lianes comme Rosa Banksiae lutea, le rosier à bouquets de petites fleurs jaunes qui couvre les ramades en Provence. Procurez vous une branche de préférence ayant fleuri, d'au moins 60 cm, chez un ami qui possède ce rosier .
Munissez vous d'une barre à mine (grosse tige de fer destinée à casser la roche) un voisin bricoleur vous en prêtera une !
Choisissez l'emplacement qui convient à une liane géante ,( au moins 6 m en quelques années), et enfonçez la barre à mine légèrement en biais dans un sol meuble (après la pluie c'est parfait) sur au moins 50 cm. Glissez la tige de rosier offerte ou prélevée lors de vos ballades, dans le trou et bornez la fermement (comme un poireau au potager) avec la barre à mine. Il se forme un trou en entonnoir tout à côté de la branche où vous verserez un peu d'eau. Assurez vous qu'elle est bien calée en tirant légèrement dessus : elle doit résister, sinon recommencez !
Attendez le printemps sans rien faire de plus et il y a 90 % de chances que de jolis bourgeons pointent leur nez dès le mois de Mars. Ce rosier très peu épineux couvre les vieux arbres, les cabanons, les grillages. Il perd ses feuilles au début du printemps dès qu'il forme ses bouquets et les reprend aussitôt. Aucun soin particulier ne lui est nécessaire. Il faut lui éviter une façade plein sud car il risque une poussée inesthétique d'odïum. Il se taille s'il envahit le passage, immédiatement après la fin de floraison, mais donne le meilleur de lui-même laissé libre à l'assaut d'un vieil arbre ou d'une solide pergola.
Les rosiers suivants se bouturent facilement de la même manière :
Rosa banksiae (Blanc), Rosa 'Félicité et Perpetue' (blanc),Souvenir de Madame Léonie Viennot (rose carné), Sénateur Lafolette (Rose chamois), Albertine ( rose tendre), Rosa multiflora (blanc pur) etc....
Rosa banksiae blanc est aussi facile et il sent bon la violette. Le jaune n'a pas de parfum mais essayez le par exemple dans un arbre de Judée qui fleurit en même temps. Le mélange est enchanteur.

samedi 22 novembre 2008

RÉCUP & RECYCLAGE AU JARDIN


J'aime les poteries au jardin, je mets en scène aussi bien les vieilles marmites ou les daubières provençales que les modestes pots de jardin. Ils ne servent plus aux pépiniéristes qui s'en débarrassent volontiers préférant manipuler les pots de plastique, bien moins lourds et moins fragiles.
Depuis des années je récupère et je recycle ces vieux pots pour en faire des amoncellement, des présentations de collection, des empilements instables qui animent le jardin d'une note de poésie.
Voici des colonnes plantées de Sedum, Echeveria, succulentes diverses et variées qui se contentent depeu pourvu que le soleil les cuise Il y a un truc :les pots sont enfilés selon l'inspiration sur une solide fer à béton fiché en terre. Ainsi même les jours de Mistral, les compositions tanguent mais ne s'écroulent pas.
Rien n'étant définitif au jardin, je démonte et remonte mes colonnes empotées pour remettre un peu d'ordre, changer les plantes, ou modifier le décor.

Une idée facile à copier, j'ai découvert en Alsace, une autre jardinière fantaisiste qui fait le même genre de composition en hauteuravec..... de vieux moules à gâteaux !

PLANTES DE PROVENCE

petit nom : Acanthe
nom vernaculaire : branc ursine
nom latin : Acanthus mollis
famille : ACANTHACEES

L’acanthe est une plante majestueuse, largement répandue dans le midi, originaire d’Europe méridionale. Elle pousse spontanément dans le vallons humides, au pied des ruines, dans les zones ombragées.
Son cycle végétatif est particulièrement adapté au sud : En effet, dès le milieu du printemps, elle érige une magnifique inflorescence en épis, blanc rosé de plus de 80 cm de haut, au milieu d’une belle touffe de larges feuilles découpées.
La floraison attire toujours le même insecte, une sorte de grosse mouche dont le corselet bleu métallisé laisse échapper une pilosité hirsute. A chaque plongée dans le calice, ses poils se chargent de pollen, assurant d’une fleur à l’autre la fécondation de l’acanthe. Les fruits en forme de grosse olive, se forment tout au long de la tige et restent attachés par leurs sépales . La grosse chaleur de l’été les fait exploser avec bruit sec de pétard, expédiant les graines à plus d’un mètre autour du pied mère. Ensuite, sa survie assurée, l’acanthe s’alanguit, sa tige se couche, ses feuilles s’amolissent , se dessèchent et meurent. En vérité, elle fait semblant de mourir, elle entre seulement dans une dormance estivale tandis que sa souche résiste dans l’attente des pluies de Septembre qui l’éveilleront à nouveau. De belles crosses, d’un vert craquant sortiront alors de terre et se déploieront en larges feuilles avec cette élégance qui les a fait adopter depuis l’antiquité comme modèle dans le décor des chapiteaux corinthiens.
En médecine populaire, l’acanthe molle est appelée Branc ursine et ses propriétés émollientes et vulnéraires la faisaient employer en bains et cataplasmes contre toutes affections inflammatoires.

AU JARDIN
Cette plante est si commune dans le midi, qu’il ne viendrait à personne l’idée saugrenue de l’introduire au jardin. Nombre de jardiniers locaux se sont battus contre l’envahissement de l’acanthe qui se multiplie par semis spontanés, mais qui fait aussi de la résistance par sa souche charnue dont le moindre morceau oublié en terre fait renaître une nouvelle plante !
La mode des jardins anglo-saxons nous a fait redécouvrir la grâce de l’acanthe, cultivée là bas comme une plante exotique.
Essayez la au jardin dans un coin frais, avec d’autres plantes à feuillage exubérant. Elle fleurit mieux au soleil mais ses feuilles y fanent plus vite.
Afin de limiter son expansion, cueillez ses inflorescences avant la fructification et cernez la régulièrement d’un bon coup de bêche afin de dissuader ses racines charnues d’aller faire naître plus loin quelques nouvelles pousses.
Plantez autour de l’ail à fleurs blanches (allium triquetrum), des narcisses , des primevères botaniques pour une scène naturelle du plus charmant effet.

SECRETS DE JARDINIÈRE :
En cas de brûlures légères, je fais un cataplasme avec les feuilles de l’acanthe, grossièrement hachées, qui soulage rapidement la douleur.

La potée Belle Époque :
Comme en 1900, utilisez l’acanthe en potée pour votre maison. Cette belle plante était utilisée pour décorer les appartements , ses feuilles artistement découpées débordaient avec élégance des jardinières rococo. La modernité et le minimalisme des décors de ce début de XXIe siècle fait une large place aux végétaux a grand développement. Le retour de l’acanthe a enfin sonné !
Offrez lui un bon terreau tourbeux et de l’engrais pour plantes vertes une fois par semaine, vous serez surpris de sa magnificence.

Le bouquet d’hiver :
Je cueille les inflorescences d’acanthe au plus beau de leur épanouissement. Je les fais aussi sécher lentement en les piquant dans du sable humide. Les fleurs et leurs bractées se conservent bien et donnent du volume et de la hauteur aux bouquets secs d’hiver.

le poète a dit :
“L’anse de chaque vase offre à l’oeil enchanté, de la plus souple acanthe un feuillage imité”

jeudi 20 novembre 2008

LES SAUGES D'AUTOMNE



Qui a dit que le jardin était triste en novembre ?
La pluie du début du mois a enfin imprégné le jardin en profondeur. Les journées ensoleillées font exploser la floraison des sauges exotiques : Salvia guaranitica, Salvia confertiflora, Salvia leucantha, Salvia elegans, Salvia neurepia, Salvia involucrata.... dès que l'inflorescence est terminée, je pince les tiges sur 15 cm afin de favoriser de nouveaux bourgeons. Le petit bout ne part pas au compost ! légèrement effeuillé, raccourci, je l'enfonce en pleine terre. Reprise assurée en cette saison. Ainsi la grande bleue, Salvia guaranitica ponctue les différents massifs du jardin car elle fleurit aussi bien à mi-ombre qu'au soleil. Ces plantes faciles résistent à un petit froid, et fleurissent pour certaines 9 mois par an. J'en cultive une trentaine au jardin depuis plus de 15 ans mais j'ai abandonné les plus capricieuses et les plus fragiles.

Vous ne connaissez que la sauge officinale, Salvia officinalis, c'est pas grave, je vais vous donner une recette qui amusera l'apéritif dominical :
Cueillez vos plus belles feuilles de sauge, les laver et les éponger avant de les tremper en les tenant par la queue dans une pâte à beignet très légère. Plonger dans la friture chaude et laissez gonfler (vous avez enlevé les doigts bien sûr).
Vous allez sortit une sorte de petite souris rebondie avec sa queue. Saler et croquez c'est délicieux, curieux et si la sauge est insoupçonnable, elle vous fera du bien et cela vous changera des cacahuètes !