samedi 29 novembre 2008

MON JARDIN D'ENFANCE




L’agave  américaine en fleur 


Il y avait dans le jardin sauvage, d’énormes agaves d’Amérique, des grises et des panachées de jaune. A cette époque, l’aloès comme on disait alors, peuplait les talus de chemin de fer. Ses formes généreuses et charnues , largement ouverte et étalées au soleil en faisait un ornement exotique très employé surtout par les nouveaux résidents. La mode était aux poteries garnies d’aloès, scellées sur les piliers du portail ou sur les murs de clôture . En fait ce que l’on appelait aloès était une agave dont la nature vigoureuse éclatait très vite les poteries. La racine charnue et blanche, au contact de la lumière donnait une ou plusieurs petites agaves qui en grandissant finissaient d’exploser leur contenant. 

Les plus prévoyants leur offrait ces pots de terre cuite  aménagés de trous comme les pots à fraisiers. C’était reculer l’inévitable. Après avoir logé ses petits dans les nids prévus à cette usage, les racines épaisses et serpentines après avoir  dévoré toute la terre nourricière, cherchaient vainement   une issue et poussaient tellement les flancs rebondis de la poterie qu’ils la brisaient sans merci. 

Leur floraison était une curiosité toujours renouvelée. Cette amarylidacée venue des Amériques décidait d’en finir en lançant vers le ciel une asperge  à la mesure de son désespoir. Cette tige, grosse comme une cuisse, atteignait trois mètres en quelques semaines et développait tout le long de son tronc des bouquets étagés, frangés de fleurs verdâtres. En même temps, l’agave épuisée par cette ultime érection, se flétrissait, jaunissait, perdait toute sa succulence pour ressembler à un vieux cuir racorni dont seules les épines restaient agressives. Il lui fallait bien 6 mois pour en finir, la déchéance était complète quand la tige floral penchait dangereusement puis touchait terre entraînant avec elle les restes de la bête.


Mon père s’attaquait alors au dépeçage,  croyant alors libérer le terrain de cette charogne piquante. A l’automne, on brûlait les restes non sans avoir préalablement tronçonné la tige florale pour un usage bien particulier. Ces morceaux étaient collectés pour l’usage qu’en faisaient les coiffeurs : ils y aiguisaient leur coupe-choux !


L’espace nettoyé , ne restait pas longtemps libre. Les racines souterraines, épaisses avaient donné naissance à une dizaine au moins de petites agaves qui pointaient leurs jeunes feuilles avec courage. et qui mettraient 20 à 25 ans pour fleurir à leur tour.  

J’aimais pardessus tout détacher les feuilles encore imbriquées les unes dans les autres, bravant ainsi les crochets redoutables. La feuille délivrée avant l’heure restait timidement enroulée sur elle même et laissait son empreinte vert tendre sur la feuille inférieure. décalque démarque plus clair sur le gris métallique.

Ce jeux était amusant sur les petites agaves, mais dangereux sur les grosses car cela demandait  un effort important pour arriver au décollage des feuilles.


L’agave d’Amérique poussait sur les talus et se plaisait particulièrement au bord de mer  accrochée en surplomb aux rochers des calanques. Élément incontournable de la carte postale, elle apportait sa note d’exotisme au paysage de la Cote d’Azur.

Les vacanciers avaient compris l’importance de son message et ne résistaient pas à l’envie de couvrir ses larges feuilles de messages sibyllins gravés à l’opinel dans sa chair juteuse : “ à Brigitte, Claudine ou Josette pour la vie” La dédicace était bien sûr agrémenté d’un coeur traversé d’une flèche. Les plus sauvages  tranchaient dans le vif, juste pour voir  de quelle chair elle était faite, comment c’était dedans, les plus timides inscrivaient la date de leur passage  : Août 1952.

L’agave, cicatrisait vite, et les écrits blanchissaient assurant ainsi aux vacanciers la pérennité de leurs amours, d’une année sur l’autre. 

Sur le sable, à la limite des jardins,  les grosses agaves étaient entourées de nombreux petits, encore dépendant de leurs racines nourricières. Les touristes curieux pouvaient  prélever les jeunes pour les ramener chez eux en témoignage de leurs fabuleuses vacances au soleil. 

Elles ne survivaient pas longtemps à des climats différents.  On leur offrait un pot  garni de riche terreau  et l’ arrosage régulier qui les ramollissait d’abord pour les pourrir ensuite irrémédiablement.  L’agave vit d’abord de lumière et de soleil. Une ou deux pluies par année suffisent à ses tissus pour stoker l’eau nécessaire à sa vie.  


Elle supporte très bien les petits coups de froids que nous réserve les mois de janvier et de février . Une année pourtant, c’était en février 1956, la neige tomba d’abondance.  J’ai encore en mémoire le souvenir de ce matin  : l’escalier de marbre disparaissait sous 40 cm de neige, les mimosas en fleurs pendaient jusqu’au sol sous son poids . Les chemins avaient disparu, les  eucalyptus étaient figés, le jardin n’avait plus que des formes incertaines.

Les agaves  dont les feuilles largement tartinées de neige ressemblaient à d’énormes pâtisseries  dépassaient seules de ce linceul.

La nuit qui suivit, le thermomètre descendit à -10. Ce fut la catastrophe, toute la végétation exotique, gorgée d’humidité ne résista pas. L’eau contenue dans les fibres gela éclatant irrémédiablement tous les tissus.

Le dégel  reste un souvenir épouvantable, les grandes agaves se ramollirent d’un coup. Comme un gros poulpe mort, elles se répandirent au sol. Puis  les feuilles pendantes fondirent en une glu verdâtre  qui se gâta très vite en une pourriture nauséabonde. 

Pendant quelques années on oublia les  encombrantes agaves. C’était faire abstraction de leur formidable puissance. En effet, les racines charnues les plus profondes avaient été épargnées par le gel. Elle se dirigèrent petit à petit vers la surface du sol réchauffé par l’été et donnèrent spontanément naissance à de nombreuses petites agaves. Bien sûr, il fallu attendre une bonne dizaine d’années pour que leurs enfants prennent  de l’ampleur. Le peuplement resta  longtemps modeste. La mode jardin des années 60 avait oublié l’exotisme de l’agave au profit d’une    géométrie rigoureuse,  bordée de sauges rouges et d’agératum du Mexique ou l’opus incertum délimitait des chemins plus importants que les massifs.


L’agave est à nouveau à la mode et c’est bien, nos jardins et nos paysages, après un retour pur et dur aux essences locales  et au caractère provençal, se tourne à nouveau vers la diversité végétale . nous continuons d’introduire des espèces venues d’ailleurs et l’agave orne  les jardins et déborde à nouveau sur les calanques aux rochers rouges. 


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